photo de Marion Le Breton
Je ne sais pas pour qui j’écris cette lettre, peut-être pour ma bonne conscience uniquement,
Parce qu’au jour d’aujourd’hui, je ne sais pas si quelqu’un sera en mesure de la lire.
Cette histoire est à la fois une anecdote de ma vie, l’histoire d’un voyage,
Et un récit de la destinée du monde.
J’ai créé le monde, ce n’est un secret pour personne, même si certains, pour se donner de l’importance se permettent d’en douter. Mais peu importe…
J’ai créé le monde donc : une sorte d’Eden verdoyant, avec deux locataires, tout nus et bien sympathiques (j’étais dans ma période naïve).
Ca a tout de même été un boulot conséquent, et quand j’ai eu fini, j’ai eu envie de partir en vacances.
Tout Dieu que je suis, j’ai mes limites, et je me sentais un peu dépressif après cette œuvre achevée (ceux qui sont des créateurs comprendront ce sentiment). Bref
un peu las de cet univers lénifiant que j’avais modelé de mes mains, je me suis dit, Dieu, changer d’air ne te fera pas de mal !
J’ai pensé emmener le monde avec moi, je vous l’assure, mais ma valise était trop petite (la photo en atteste). Je ne cherche pas à me justifier, mais simplement à
prouver que je suis de bonne foi (c’est la moindre des choses pour Dieu).
Mais, fi de digressions, je suis donc parti en vacances, sans le monde (un voyage très sympa d’ailleurs), et c’était une GROSSE erreur.
A mon retour c’était la catastrophe dans le monde : violence, souffrance, luxure, j’en passe et des meilleures.
Je n’ai pas trop compris comment cela était arrivé, une histoire de pomme, de serpent, un truc assez nébuleux à vrai dire, mais le résultat n’était pas beau à voir
!
Mon premier réflexe a été d’ordre hygiénique : lavage à grandes eaux ! Pas suffisant hélas… Il y a un quidam à l’âme chevaleresque, un certain Noé en bas qui a mis
un couple de chaque espèce dans un bateau (ou une arche pour être plus précis), et tout est reparti de plus belle…
En réfléchissant j’ai alors tenté des solutions plus douces. Mon idée était d’infléchir le problème de l’intérieur : alors j’ai formé un certain nombre
d’émissaires, histoire d’expliquer à ceux d’en bas qu’il y avait peut-être mieux à faire du monde que le magma violent et sans pitié qu’il était devenu. Mais l’idée des prophètes s’est avérée
également infructueuse… Ce sont des vrais sauvages en bas ! L’avant dernier, ils me l’ont cloué sur des planches ! Une vrai boucherie.
Au chapitre de mes tentatives de solution, je mettrai également la rédaction de deux ou trois manuels de bonne conduite, mais je ne suis pas bon pour ça. Je pars
d’une idée simple, essayer d’aider le monde à aller mieux, puis je me perds dans des détails inutiles. Résultat, au bout d’un siècle, les détails prennent plus d’importance aux yeux des humains
que l’essentiel, et ils arrivent même à s’entretuer à cause de mes lacunes d’écrivain.
Après cela, j’ai vraiment traversé une sale période. J’avais plus envie de rien, j’étais dégouté par ma propre création… La grosse déprime quoi ! J’ai entamé une
thérapie, mais à part me culpabiliser encore un peu plus, ça ne m’a pas apporté grand chose. J’avais beau lui dire que tout cela n’était le résultat que d’un simple voyage, et d’une histoire de
valise trop petite, rien à faire, le gars me répétait tout le temps que tout était de ma faute, que le monde n’était que le reflet de ma propre défaillance, et qu’inconciemment j’avais moi-même
introduit le vers dans le fruit. Le péché originel ne serait qu’un reflet de ma propre volonté d’autodestruction, une sorte de conduite d’échec a-t-il dit. Pas vraiment aidant vous l’admettrez
!
Depuis, j’ai décidé de ne plus rien faire : je laisse le monde se débrouiller seul ! C’est pas vraiment mieux à vrai
dire, mais pas vraiment pire non plus. En fait, je finis par penser, qu’ils vont régler le problème à ma place. Ils sont vraiment très forts les humains pour s’entretuer ! Et comme si ça ne
suffisait pas, ils ont tout détraqué, et ils sont en train de se faire cuire tout seuls ! Quand ils auront nettoyé tout ça, et je leur fais confiance, ils vont bien y arriver, je ferai un autre
monde mais plus modeste, un que je peux mettre dans la valise, parce qu’avoir un monde à charge je veux bien, mais je ne veux pas que ça me bloque à la maison.
Marion
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