Silvia
Bächli, Sans Titre n°4/12,1996, Photogravure
Le téléphone l’a réveillée "Et l’intimité du geste, t’en préoccupes-tu ?" lui a-t-il dit sans préambules, ajoutant qu’il n’avait pas dormi de la nuit. Pourtant
ce matin-là, il n’aurait pas fallu longtemps pour la convaincre de descendre le long du canal où l’eau sombre gisait, en deçà du jardin aux cactées. Ses taches de rousseur enflammaient les
ténèbres de leur lyrisme extrême, sous le lilas se chantonnait l’ode sculpturale de fin d’hiver. Tout dans sa posture criait au romantisme si ce n’est les bracelets sadomasochistes qu’elle avait
noués à ses poignets dont quelques poils éclipsaient l’espace blafard. Le regard était baissé sur l’organza d’un bustier plissé.
Elle se souvint des aiguilles enfilées de soie ébène sur le damas à pois blancs qui brodaient patiemment le léopard de Kiki sur sa gorge dénudée.
La mélancolie n’est pas une jument montée à cru, en arrière-plan d’une cour sombre d’où s’élèvent de sinistres fûts à l’écorce moussue. Beyond mystic. Erika ne
tendait jamais les bras, à l’égal de Caspar David Friedrich, même lorsqu’elle chantait emplie d’une ferveur qui ne lui faisait plus toucher ni sol ni plafond.
Il fut un temps où elle n’avait pas égaré la pierre dure et lisse, sourde à ses amours dont elle se sentait dépositaire, ce qui la portait aux confidences "J’ai vu
se superposer aux branches des noisetiers glabres de leurs chatons illuminés, des archéologues qui extirpaient des vestiges du sol et délaissaient les ossements humains", ce à quoi il répondait
"J’ai vu des baleines à bosse nager entre tes boucles diaphanes."
Puis Noé avait renversé la bouteille d’encre de Chine, tachant l’eau d’ambre du masque Mbangu que Romain et Jane lui avaient rapporté du cloître lors de leur fuite.
Dès lors, ils avaient vécu leurs nuits à New-York, Berlin, Vertou ou Cachan. Elle soupirait "Est-ce cacher sa mort en négatif 16 mm ? "
Il ne la rassurait plus, même s’il lui offrait des papiers anciens rehaussés de fards poudreux.
L’étalon de la mélancolie n’est pas invariable. Plutôt que flirter avec les entrailles du no future, elle se récita une ultime liste.
- Le fusain est combustible
- L’anthracite est combustible
- L’huile de cade est combustible
- Le noir de bitume est combustible
- L’artiste est combustible
Quand on se met à brûler, qu’est-ce qui reste ? L’abandon de soi, la méditation, le début d’une nouvelle époque.
Catherine Robert